L’Île des Morts

L’Île des Morts (Die Toteninsel) est une série de cinq tableaux peints entre 1880 et 1886 par Arnold Böcklin.
Elle représente une île au coucher du soleil, vers laquelle se dirige une embarcation conduite par un passeur. À ses côtés dans le bateau,
un défunt debout dans son linceul, regarde vers la crique dans laquelle va entrer la barque. Sur l’île, une cour dans l’ombre, des rochers
escarpés et de hauts cyprès dégagent une atmosphère de solitude et d’oppression.


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Les différentes versions.


Il existe cinq versions différentes de ces tableaux réalisés à plusieurs années d'intervalle :

  1. En 1880, conservée au Kunstmuseum de Bâle ;
  2. En 1880, conservée au Metropolitan Museum of Art de New York ;
  3. En 1883, conservée à l'Alte Nationalgalerie de Berlin ;
  4. En 1884, détruite lors d'un bombardement à Berlin pendant la Seconde Guerre mondiale ;
  5. En 1886, conservée au Museum der bildenden Künste de Leipzig.



1re version
Böcklin a achevé la première version du tableau en mai 1880, pour le compte de son commanditaire Alexander Günther, mais l'artiste l'a finalement gardée pour lui-même. Elle se trouve maintenant au Kunstmuseum de Bâle.
2e version
En avril 1880, alors que la peinture était en cours d'exécution, l'atelier de Böcklin, à Florence, reçut la visite de Marie Berna, née Christ, veuve du financier Georg von Berna (1836–1865) et future épouse du politicien allemand Waldemar, comte d'Oriola (1854–1910). Elle fut frappée par la première version de cette « image de rêve », qui était à moitié achevée sur le chevalet. Böcklin peignit alors pour elle une version plus petite, sur bois, maintenant au Metropolitan Museum de New York. À la demande de sa cliente, il ajouta le cercueil et la figure féminine, en mémoire de son mari, mort de la diphtérie quinze ans plus tôt. Par la suite, Böcklin ajouta ces éléments à la version antérieure. Il donna à ces œuvres le nom de Die Gräberinsel (« L'île des tombeaux »). Parfois, la version de Bâle est considérée comme la première ; parfois, c'est celle de New York, acquise par la Gottfried Keller-Stiftung en 19201.
3e version
La troisième version a été peinte en 1883 pour le galeriste Fritz Gurlitt, qui vendait les œuvres de Böcklin. À partir de cette version, l'une des chambres funéraires située dans les rochers, sur la droite, porte les initiales A.B. de Böcklin. En 1933, cette version a été mise en vente et Adolf Hitler, qui admirait l'œuvre de Böcklin, l'a acquise : il l'a d'abord exposée au Berghof, à Obersalzberg, puis, après 1940, à la nouvelle chancellerie du Reich, à Berlin. Elle est aujourd'hui conservée à l'Alte Nationalgalerie de Berlin2. À partir de la troisième version, le ciel nocturne laisse place à un jour blême, diminuant la portée énigmatique de la traversée. En parallèle, l'île devient plus précise dans ses contours, et la main de l'homme à travers les aménagements se fait plus visible. Dans la cinquième version, la « mystique » de l'œuvre semble avoir laissé place au concept plus « artificiel » de l'île tombeau, bien qu'y réside toujours l'ombre de la mort.
4e version
Des impératifs financiers aboutirent à une quatrième version en 1884, qui fut finalement rachetée par le baron Heinrich Thyssen, industriel et collectionneur d'art, et exposée à sa filiale de la Berliner Bank. Détruit lors des bombardements de Berlin, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle ne survit plus que sous la forme d'une photographie en noir et blanc.
5e version
Une cinquième version a été commandée en 1886 par le musée des Beaux-Arts de Leipzig, où elle se trouve encore. L'île, dans sa dernière version, montre des falaises abruptes, plus hautes et plus claires, formant un hémicycle fermé par des constructions humaines absentes des premières versions, avec des murs cyclopéens délimitant un téménos, espace sacré coupé du reste du monde. L'horizon plus clair accroît l'isolement du lieu, auquel on n'accède que par une barque traversant une mer d'huile, conduite par un passeur rappelant l'antique nocher Charon vêtu de noir, île éloignée de toute réalité qui ne représente qu'un ailleurs inconnu et inaccessible.